29 Août INSTALLATION « MÉCANISME D’UNE RÉFLEXION, CRÉATION » – 2020
Lieu : Auberge de jeunesse, hôtel, restaurant Central Hostel (Bordeaux)
(Peinture acrylique sur plaques de plâtre, 2020)
L’exposition installée dans la cage d’escalier du Central Hostel à Bordeaux invite à parcourir le Mécanisme de création d’une œuvre.
L’œuvre est un « Monument aux Citoyens », projet qui aurait dû être proposé dans le cadre d’un concours participatif à la ville de Bordeaux (voir lien ci-dessous).
http://www.bordeaux.fr/p136270/budget-participatif
La reconstitution du travail de réflexion est présentée chronologiquement sur les parois de l’escalier (menant du sous-sol au 4ème étage), autour d’un dialogue entre 2 individus (nommés R. et P.). Ils pourraient s’appeler Ryan et Peter, Roberto et Pilar ou Raphaël et Patrick, peu importe. Les situations oscillent entre tensions, hésitations, convictions, intuitions.
Les textes sont précédés de citations de personnes illustres et alimentés par des dessins, croquis, ébauches.
Ce travail peut s’apparenter à des lignes droites, souvent incurvées, parfois distordues ; se jouant des pensées originales. Ce choix est une liberté assumée ; il en est la démarche même du projet.
Autour de cette table hélicoïdale : Churchill, Platon, Socrate, R.Enthoven, N.Grimaldi, R.Gluksmann, J-J Rousseau, J.Locke, T.Hobbes, C. Lévi-Strauss, L. Jaume, A. De Tocqueville, R. et P. …
Je tiens à remercier Clarence, ainsi que toute l’équipe du Central Hostel pour la confiance accordée.
R-1/ Mythes, Commencement
Extrait :
-C. Lévi-Strauss : il n’existe pas d’hommes mais des individus. Les mythes parviennent à construire des systèmes logiques. Pour les comprendre, il faut entrer dans les moindres détails (nuances), ce qui est insignifiant est en fait essentiel dans la vie pratique des populations considérées.
+R : Tu vois, tu suppures de clichés, de certitudes, d’idées à l’emporte-pièce.
+P : Mais si la démocratie est un mythe, les monuments en sont aussi. Ils n’ont que le sens que l’on veut bien leur donner. Ma vision me semble rationnelle, pertinente.
+R : Apprends à désapprendre. Décris la nature et les oiseaux qui passent au-dessus de ta tête en ayant les yeux bandés.
+P : Je n’ai pas tout saisi, mais l’un dans l’autre l’archi c’est toi.
+R : Proposons un objet cohérent qui se veut compréhensible de tous et par tous, faisons apparaitre l’infinitésimal comme macroscopique, changeons notre regard sur les proportions. L’ordre de grandeur doit s’inverser.
RDC/ Linéament, Progression
Extrait :
-Calliclès : Il vaut mieux subir une injustice que la commettre.
+P : Ca me fait penser au poème d’Esope, « Le sanglier, le cheval et la chasseur », où un cheval, pour se débarrasser du sanglier (cueilleur comme lui), demande les services du chasseur. Celui-ci, en fin tacticien s’exécute ; grimpe le cheval, lui met un mors, puis tue le sanglier. Une fois de retour chez lui, le chasseur attache le cheval dans l’écurie, et fait cuire le sanglier. « Ainsi, nombre sont ceux qui, en croyant se venger, vont se livrer eux-mêmes à l’ennemi. ».
+R : Tu me fais marrer avec ton sens aigu de la périphrase. Je ne la connaissais pas cette fable. Tu veux peut-être qu’on mette des têtes de sanglier en haut de poteau, et le cheval en scène au galop pour donner la réplique à la Fontaine aux Girondins, rive gauche ?
+P : A répondre toujours par l’absurde, tu pousses l’exemple (et ta connerie) à l’extrême ; mais c’est pas mal, sans le savoir t’ouvres des voies de réflexion.
Un monument païen ! Aucun signe ostentatoire : d’aucune religion, d’aucun régime politique de toute sorte, d’aucune autorité étatique, d’aucune victoire militaire, … Un monument muet !!!
+R : … (la lèvre inférieure sur la lèvre supérieure avec quelques hochements de tête)
R+1/ Impasse, Aporie
Extrait :
-A.De Tocqueville : La démocratie est un système où le peuple aime être flatté, le démagogue prend le pouvoir à son avantage, ensuite limite la démocratie et les passions humaines. Des amortisseurs peuvent épauler la démocratie, jouer un rôle de stabilisateur :
.Décentralisation : le pouvoir central laisse la liberté aux communes
.La religion porte le regard au-delà du présent, limite les désirs
.Les juges évitent les lois violant les libertés individuelles
.les associations créent de l’oxygène dans la société, un espace une sociabilité, les individus vivent et se parlent, la violence est ainsi contenue.
+R : On y est. L’art c’est l’oxygène de nos poumons, l’éminent représentant de nos sociétés. Il en est la forêt.
+P : Je ne saisis pas le lien.
+R : Il joue le rôle de stabilisateur.
+P : Non. L’art n’apaise pas les âmes, il ne crée aucun lien social, on le met en scène pour lui donner un but, une portée téléologique. Il n’est pas compatissant, il n’est pas là pour panser les plaies de l’existence; c’est un exhausteur de sentiments, de vie. Il dépose le filtre entre le monde et nous, nous ramène à notre état de nature. Non, il nous rend nature. Le monde a été marchandisé, l’art n’échappe pas à la règle, il en est le reflet. Aujourd’hui, l’artiste est une marque déposée. Dire d’un artiste qu’il l’est, c’est affadir sa démarche, c’est le rendre inoffensif.
+R : Tu parles de l’art comme genre ? De l’art comme postulat ? De l’art comme éthique ?
+P : Je ne sais pas, je n’y comprends que dalle à tes questions.
+R : On a réinventé La Démocratie avec une colombe. Ca c’est l’art.
+P : Non c’est un postulat !!
+R : Non c’est un geste.
+P : Non c’est la paix, et c’est ton illustre compatriote qui l’a dessinée. C’est pour cela que tu dis ça ?
+R : Pas seulement
+P : Chauvin. L’objet de la colombe est évident, trop facile, populiste.
+R : Ah bon ?? Vous les français, vous passez votre temps à tout analyser alors que nous, les Espagnols, on réinvente le monde.
+P : Tu penses que faire un palais avec des créneaux en forme d’œufs c’est de l’art ??
+R : Oui, il était fort Dali (éclats de rire).
+P : La démocratie c’est la colombe de Picasso, mais pas de profil. Elle est de face, elle te regarde elle te provoque, te met en joug comme pour te dire que le monde n’est pas là pour te faire plaisir. Tu es la démocratie, et si tu veux une démocratie dans le sens premier du terme, alors fais de ta citoyenneté l’axiome de ton rapport aux autres. Il faut être le cycliste sur son vélo. Il faut pédaler, avancer et toujours avancer. Sinon tout se fige, tout meurt.
R+2/ Ouverture, Elévation
Extrait :
-Camus (interprétation) : Il faut se représenter Sisiphe comme un homme heureux. Il est conscient de l’absurdité de tout ce qu’il fait, néanmoins il ne résigne pas, il fait sienne cette absence de sens, il se l’approprie, il ne la laisse pas gagner parce qu’il en fait la condition même de sa vie. Et part ce geste, il acquiert une certaine dignité, il donne de l’épaisseur à son existence. Et surtout il l’aborde en homme libre sans se voiler la face. Sisiphe est la démocratie.
+P : Au final le monument est d’obédience camusienne.
+R : Je ne suis pas sûr, non.
+P : Oh que si. La démocratie se sait elle-même fragile (tiraillée entre l’individu et le collectif), elle mute sous les agressions, trouve des voies alternatives pour se maintenir, retourne ses faiblesses en force.
Ce monument fonctionne de la même manière. L’intérieur ressemble au chœur d’une chapelle, à l’âme de la démocratie, à sa genèse. Et la genèse, c’est l’individu, précieux et intime.
L’extérieur c’est la communauté, ce qui se voit, le corps, la force collective sublimée par tous ces faisceaux de lumière qui jaillissent des failles. C’est l’individu dans le collectif.
Au final c’est un lieu où l’on invite les gens à penser de manière autonome dans des situations différentes, et à faire de leur citoyenneté un activisme, par l’acte même du don.
+R : J’aimerais y croire à tout cela tu sais ; mais je n’y arrive pas … Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. On a beau se démener en voulant faire bouger les lignes, en proposant ce genre de projet, mais cela ne changera rien. La démocratie vivra par-delà chacun d’entre nous. Cet acte n’a pas de sens au regard des mutations actuelles. En plus, on ne répond pas au cahier des charges du concours. Je suis désolé… Fais le si tu veux, mais ce sera sans moi…
R+3/ Projet
Monument (Définition Larousse): Ouvrage d’architecture et de sculpture fait pour transmettre à la postérité la mémoire de quelques personnes illustres ou de quelques événements importants.