Présent du présent

(acrylique sur toile, 2009 – 405cmx200m)

Perte, l’oubli et la fuite du temps

Epitaphe :

Musée historique Correr, place Saint Marc à Venise (visite Juin 2009): peinture sur le thème de la prophétie d’un ange à Saint Marc après le naufrage de son bateau : « Pax Tibi Evangelista Deus Hic Requiescet Corpus Tutum » … Paix à Toi Mon Evangéliste Ici Reposera Ton Corps.

L’acte de créer n’est-il pas l’allégorie de la perte, de la fuite du temps ; ce moment ou l’on fixe dans un repère temporel une situation déjà terminée ?

L’œuvre ainsi achevée, n’existe plus qu’à travers le regard de l’autre, le visiteur.

Fuite du temps par mise en opposition de situation :

Au milieu de la peinture, représentation du mariage de mon père avec sa première femme, sortant de l’église, et en haut la représentation « à l’envers » de la Place du Maréchal Leclerc avec sa Mairie (Centre ville de Poitiers) durant un événement : la sortie de jeunes mariées, anonymes, quelques quarante ans après le 1er évènement (Septembre 2009).

Symboliser la fuite du temps par la projection dans le passé de son mariage, comme si mon père se remémorait cet évènement à travers sa mémoire. Cet instant capté à la sortie de la Mairie est assimilable au souvenir de son mariage : personnages et objets pas entièrement peints (limousine, corps sans membres), visages sans expressions, sans regards. Mon père, par le temps qui passe, a oublié les éléments de son propre passé : la Première mort, « La Petite Mort » (en référence à C.Boltanski dans la série des Monuments, 1985).

Choix de ce lieu :

Le photographe professionnel de l’époque avait exposé en vitrine de son magasin (situé en cette même place du Maréchal Leclerc à Poitiers) la photographie de la célébration de 1968. Elle y est restée près d’un an.

Contemplation du regard du marié :

Visage du marié renvoie à l’idée même de la perte; ses yeux et son regard sont ailleurs. Il nous donne l’impression de déjà connaitre la fin, d’être dans l’acceptation de sa condition. Symbolique de tous ces petits moments du quotidien, où l’on s’égare, où l’on s’oublie au milieu d’un ordinaire qui parfois nous échappe.

Perte, sentiment d’abandon et de solitude

Symbolisation de la mort, et sentiment d’abandon : corps d’apparence décharnés, peaux veinées, la vanité évoquée par des bougies.

Expérimentation de la perte :

Détails précis concentrés dans le tiers supérieur de la toile obligeant de ce fait le spectateur à maintenir la tête à l’envers pendant quelques secondes pour tenter de comprendre la scène. Une fois la tête redressée, l’expérience du malaise peut s’opérer, recréant ce sentiment d’étourdissement lié à la perte.

Transfert de l’événement, travail de mémoire :

La disparition d’un être amène au deuil, à la perte de ses souvenirs, et de son savoir. La situation de sortie de la mairie de jeunes mariés en Septembre 2009 est le fruit de mon imagination, une vision de l’évènement passé, une manière de le ressusciter ; les détails relatés de mon père à travers le tamis de ma mémoire.

Je ne sais pas si le protocole de de Septembre 2009 correspondait exactement à celui de 1968 mais sur le moment, cela me semblait saisissant. Le tiers inférieur de la toile représente le ciel à l’envers, sensation de lévitation, de suspension du moment…

Perpétuer la mémoire de quelqu’un, c’est cultiver son image.

L’œil du spectateur

Ere de la télé réalité :

Curiosité malsaine savamment mise à contribution, nourrit par des bribes de vie qui n’appartiennent qu’à l’intime. La curiosité du spectateur en mettant en avant la consanguinité entre le peintre et son sujet est mis en scène, comme pour nourrir son appétit d’indiscrétion.

Mise en abîme :

Le sujet, c’est-à-dire mon père, s’est évertué toute sa vie à avoir la reconnaissance des autres, à être vu et apprécié. Sans le savoir, le public participe à l’accomplissement de la peinture, puisqu’il la regarde.

Dans cette création, le regard du spectateur est le moteur et l’âme de la peinture. Il traduit la reconnaissance tant voulue de mon père et la curiosité malsaine de chacun d’épier la vie privée de l’autre.